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Chronique

La suite de la chronique d'Isabelle Collomb, toponymiste au Congrès, dédiée à la toponymie occitane dans laquelle elle évoquera l’avancée de ses travaux et différents aspects et notions de cette discipline. Elle nous informera également de l’actualité de la recherche et des publications.

Les bornes (2)

Les autres bornes

Le latin tardif ʙᴏᴅᴜʟᴀ a désigné au Moyen Âge, selon Pierre-Heni Billy1, toutes sortes de bornes. On en trouve encore des traces toponymiques bien que sa forme évoluée « bòla » soit beaucoup plus présente. Il est sans doute à l’origine de Boudoulou à Livernon, en limite d’avec Assier (Lot), des Bodules à Argens-Minervois (Aude), au bord de l’Aude et en limite de Tourouzelle,

C’est sans surprise que l’on retrouve les mots « bòrna », occitan et, plus fréquemment, « borne » français qui ont durablement marqué les territoires. Leur présence est encore aujourd’hui visible même quand les signes matériels des frontières dénommées, voire les limites elles-mêmes, ont disparu ou ont été modifiées. On le retrouve dans Les Bormes à Reyrevignes (Lot), grande terre qui s’étend sur les communes de Reyrevignes, Cambes, Lissac-et-Mouret (où c’est le nom d’un hameau habité) et Fons ; Les Trois Bornes (en français cette fois) à Thémines (Lot), Pamiers (Ariège), Saint-Pons-de-Thomières (Hérault), Saint-Félix-de-Foncaude (Gironde), Pezuls (Dordogne), Jumilhac-le-Grand (Dordogne)… qui délimitent toujours visiblement trois territoires.

Le sens dans lequel le mot « agulha » est usité habituellement est étymologique, c’est celui de « aiguille ». Mais en toponymie il a pu prendre celui de « borne » que l’on retrouve par exemple dans Les Aiguilles de Figeac (Lot) ou de Gignac-la-Nerthe (Bouches-du-Rhône).

Le mot « tèrme » est intéressant parce qu’il est très représenté dans les noms de lieux occitans, à l’instar de son concurrent « bòla », quasi synonyme dans l’emploi toponymique. Il recouvre les sens de « tertre » et de « limite » ; c’est bien sûr le second que nous évoquerons ici avec quelques exemples. Les Termes marquent, par exemple la limite entre les territoires d’Alvignac et de Miers (Lot), de Pousthomy (Aveyron) et Miolles (Tarn), d’Aren, Préchacq-Josbaig et Barcus (Pyrénées Atlantiques), de Buaoux et d’Apt (Vaucluse), etc. On le rencontre aussi sous une forme tautologique dans Les Termes de la Boule à Durbans (Lot) qui marquent la limite avec Fontanes-du-Causse.

Quant aux « bòlas » auxquelles nous arrivons enfin, c’est Gaston Bazalgues qui précise l’usage quercynois et du terme et de la pratique : « pour délimiter les propriétés, en l’absence de murs, et notamment dans les zones boisées, on élevait des bornes en pierre appelées « bòlas », boules. Une grosse pierre était enterrée au deux-tiers dans le sol et sous elle était placée une pierre plate brisée en deux morceaux qui représentaient les deux propriétaires. »2 La Baule est majoritairement implanté sur la commune de Miers (Lot) mais le lieu-dit se poursuit sur l’autre rive de la Source Salmière, du côté d’Alvinhac. Son nom indique clairement cette limite. On a aussi, tout simplement, La Boule à Berganty, Saint-Sulpice et Varaire (Lot), Montceaux-sur-Dordogne (Corrèze), Saint-Nexans et Monmadalès (Dordogne)...

Les témoins de bornes

Les témoins de bornes sont des pierres ou des fragments de tuile qu’on enterre autour d’une borne pour attester, par leur rapprochement, que cette borne n’a pas été déplacée. En toponymie occitane on rencontre le mot « filhòl » par exemple avec Fillol à Laramière (Lot), à Castelmayran (Tarn-et-Garonne), à Saint-Lys (Haute-Garonne), ou le Filhol Neuf à Puycasquier (Gers), mais aussi son féminin « filhòla » (qui peut aussi porter d’autres sens notamment celui de « canal de dérivation », « petit affluent »), comme avec la Côte de la Fillole à l’extrémité du bourg de Rocamadour (Lot).

Le terme occitan « gachons » est un déverbal de « gachar » ou « agachar », « épier, surveiller ». Il entre dans le même paradigme sémantique puisque les lieux où des bornes sont installées pour marquer des limites territoriales sont aussi ceux d’où l’on surveille l’autre côté de la frontière. Gachon à Gimont (Gers) est à l’exacte limite d’avec Escornebœuf, à Ozon d’avec Eclassan (Ardèche). La Gachénie, à la limite des communes de Soulomès et de Saint-Cernin (Lot) est porté La Gachonie sur la carte de Cassini, ce qui montre qu’il provient bien de « gachon » et non directement de « gachar ».

Les montjoies

Les montjoies sont des tas de pierres qui jalonnaient les chemins médiévaux, servant de repères aux voyageurs, en indiquant le chemin. Dans la toponymie, le nom peut recouvrir plusieurs significations selon Stéphane Gendron3 : des monticules de pierres, des bornes, des tombes dressées, le plus souvent le long des routes.
On le trouve dans des noms de communes : Montjoi dans l’Aude, le Tarn-et-Garonne, Montjoie à Nay (Pyrénées Atlantiques) en limite de Coarraze ou Montjoie-en-Couserans (Ariège) (qui pourrait cependant représenter un Mont Jovis, c’est-à-dire un mont dédié à Jupiter).

Dans le cadre de mon travail sur la microtoponymie du Parc naturel régional des Causses du Quercy, j’ai tenter de montrer que d’autres noms de lieux pouvaient peut-être être apparentés à des montjoies, comme Goy(e). Frédéric Mistral4 donne à l’entrée « goi », non seulement « boiteux » (syn. de garèl) mais aussi : « joie, plaisir », tout comme Simin Palay5 donne « goy » et « gay » comme synonymes de « gaug », de même sens. A l’appui de cette hypothèse on peut comparer la topographie des nombreux lieux-dits de type Goy(e) dont Goy du Lot qui s’étend sur les deux communes de Montfaucon et Soucirac mais aussi Goy en limite des communes de Chabrillan et Divajeu (Drôme), Goye [Golhe ?] en limite des communes de Lhuis (Ain) et de Creys-Mépieu (Isère), La Goye en limite des communes de Rians et de Ginasservis (Var), Le Goi en limite des communes de L’Hospitalet et de Châteauneuf-Miravail (Alpes-de-Haute-Provence), Goy à Dénat (Tarn) où est situé un calvaire. C’est pourquoi je pense que Goi, en domaine occitan, a pu prendre le sens de « borne, limite » par omission du premier terme de l’expression « Mont Goi » qui deviendra « Mont Jòia ».

(à suivre)

Isabelle Collomb

1 BILLY, Pierre Henri. Les limites territoriales dans la toponymie de la France. In : NRO, n° 31-32, 1998. p.170.
2 BAZALGUES Gaston ; BAZALGUES Jacqueline (collaboration). De Pech en Combe… Randonnée à travers le vocabulaire du Haut Quercy. Saint-Etienne-de-Fougères, Les Éditions du Bord du Lot, 2019. p. 30-31.
3 GENDRON, Stéphane. La toponymie des voies romaines et médiévales. Paris, Errance, coll. Hespérides, 2018. p. 123.
4 MISTRAL, Frédéric. Lou Tresor dóu Felibrige ou Dictionnaire Provençal-Français embrassant les divers dialectes de la Langue d’Oc moderne. Raphèles-lès-Arles : Culture provençale et méridionale, Marcel Petit, 1878. 2 tomes.
5 PALAY, Simin. Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes.